Petite plante commune utilisée depuis l'antiquité pour soigner à peu près tous les maux et plus récemment en cuisine pour épater la galerie, la verveine officinale traverse sereinement les siècles et subsiste à l'état indigène partout où le vent la sème, indifférente aux convulsions de l'humanité. Elle accompagne fidèlement les rêveries du veilleur solitaire, les soirées blotties au coin du fauteuil et les vieillesses prolongées de ceux qui n'iront plus mieux.
Arrangeante et sans prétention, elle poussait gentiment dans tous les jardins de la campagne du début du XXe siècle. Elle vit partir des brassées de jeunes gens qui furent cueillis avant que d'être mûrs au fond des tranchées boueuses, dans l'odeur du sang, des entrailles et de la peur. Elle vit revenir mon arrière-grand-père, miraculé temporaire qui rentrait mourir, les poumons rongés, près de sa femme et de son fils. Elle l'entendit tousser pendant dix ans, depuis le lit qu'il ne quitta pas durant sa très longue convalescence. Elle poussa bravement, dans la cour de la ferme et fut l'unique boisson de ce poilu qui avait gagné, comme les autres, son droit d'alambic mais ne voulut jamais goûter la gnôle qu'il fabriquait. Elle le découvrit un jour guéri, déroulant ses presque deux mètres devant la porte et retrouvant le chemin de l'étable, de la grange et des champs. Comme lui, elle resta sur ces terres que ne labourèrent jamais les bombes et regarda grandir les enfants, les petits-enfants et naître encore une génération. Elle l'accompagna jusqu'au dernier repas, après lequel il mourut paisiblement, au terme d'une très longue vie, loin de la folie des hommes.
En ce soir du 11 novembre, je pense à cette grande horreur sans nom, à ce massacre insensé, à la sottise oublieuse de mon siècle. Une infusion de la modeste et amicale verveine tiédit patiemment près de moi, comme chaque soir ou presque. Je ne saurai jamais exactement combien je lui dois d'être là.
lundi 11 novembre 2013
samedi 5 octobre 2013
D comme dimanche
Dimanche, jour de Dieu en français, jour du soleil outre
Manche (c’est de l’humour anglais), septième jour de la semaine « consacré
au repos » selon le Petit Robert.
Habituellement, le dimanche est un jour non travaillé. Le code du travail dispose d’ailleurs qu’il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine, que le repos hebdomadaire dure au moins vingt-quatre heures et que « dans l’intérêt des salariés » ce repos est donné le dimanche. Le même code prévoit que le demandeur d’emploi qui refuserait une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne serait pas radié des listes. Suit un article relatif aux dérogations pour les établissements dont l’activité implique de travailler le dimanche.
Habituellement, le dimanche est un jour non travaillé. Le code du travail dispose d’ailleurs qu’il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine, que le repos hebdomadaire dure au moins vingt-quatre heures et que « dans l’intérêt des salariés » ce repos est donné le dimanche. Le même code prévoit que le demandeur d’emploi qui refuserait une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne serait pas radié des listes. Suit un article relatif aux dérogations pour les établissements dont l’activité implique de travailler le dimanche.
L’intérêt d’un code, du travail ou autre, réside tout entier dans la clarification du
droit. Ici, la partition est simple : le repos dominical constitue la
règle, le travail du dimanche est l’exception. Fort malheureusement, de nos
jours et à l’heure qu’il est, la simplicité n’est pas toujours gage de
compréhension. Il se trouve donc quelques futés qui n’entendent manifestement
pas la notion de règle et d’exception. « Han, mais si y a des gens qui
travaillent le dimanche, c’est que c’est pas vraiment une règle alors. Si ça
vaut pas pour tout le monde, ça vaut pour personne et c’est çui qui dit qui est ».
Parmi ces ardents défenseurs de la liberté de travailler des autres, peu,
probablement, seraient prêts à sacrifier leurs deux jours de repos habituels mais
ne soyons pas chafouins. Tentons gentiment d’expliquer à ces infortunés
pourquoi il est tout simplement ridicule et aussi un peu émétisant de défendre le travail dominical (ou
le travail du soir) pour vendre des boulons, du gommage ou des rideaux :
- La crise ne va pas disparaître comme un vilain petit nuage gris dans un ciel d’août parce que les vendeurs de Leroy Merlin travaillent le dimanche. C’est très mignon de croire cela mais c’est aussi assez stupide. Range ton petit poney en plastique made in China, non sa crinière n’est pas magique même si le gentil monsieur Gattaz te l’a offert.
- Si l’ouverture dominicale n’est plus exceptionnelle, les salariés de ces magasins pourront s’asseoir bien copieusement sur leurs primes. Si c’est normal, pourquoi les payer davantage, je vous le demande un peu.
- Tu peux t’abstenir de consommer certains produits un jour par semaine. Si, tu es capable, concentre-toi. Rassure-toi, tu continues quand même à consommer même en restant chez toi (de l’électricité, par exemple), tout va bien, tu es encore vivant(e).
- Si tu pars à Leroy Merlin le dimanche matin, tu sais très bien que tu ne commenceras pas à bosser avant l’après-midi. Ces magasins ont été conçus par des gens bien plus intelligents que toi et moi pour que tu y perdes des heures. Si tu passes outre, tu ne mérites même pas le nom de bricoleur. Un chantier se commence à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne. Fumiste.
- Tu n’as pas besoin de parfum à dix heures du soir. Non. Si tu as tenu depuis ton lever jusque là, il n’y a pas d’urgence médicale. Tu peux attendre. Ou te laver.
- Si les magasins de boulons ouvrent le dimanche, on voit mal pourquoi on refuserait à l’honnête citoyen de vouloir acheter des timbres, des jeggings ou une râpe à fromage le même jour. Tu saisis bien l’urgence de telles emplettes. Du coup, toi aussi tu travailleras le dimanche, c’est bête, tu pourras pas acheter tes boulons ce jour-là.
- Dans ce monde merveilleux où l’on pourrait acheter toute la semaine, tous les jours se ressembleraient. Le même rythme. Toujours. La même physionomie pour les rues , sept jours sur sept. Le même traffic routier. Les mêmes horaires. Pas de temps institué pour une pause collective, et ce, sans aucune nécessité sociale autre que le caprice de ceux dont la vie est trop vide pour souffrir un instant de contemplation.
- Si tu crois vraiment être un rebelle et brandir haut les couleurs de la laïcité en supprimant le repos dominical, je te propose de passer la couche de finition en te contentant d’un bouillon clair le soir de Noël - après avoir refusé toutes les invitations de ta famille et leur avoir clairement indiqué que pour les cadeaux ils pouvaient se brosser – et en idolâtrant un veau d’or parce que c’est interdit par la Bible. Vas-y, sois transgressif mais bon courage pour trouver un veau, même seulement doré, chez Castorama.
Le
problème mon grand, c’est qu’en décalant les temps de repos, le rythme
collectif devient individuel. Il n’y a plus de repère temporel pour se
retrouver soi-même et retrouver les autres, un temps de gratuité comme disent
certains curés avec lesquels je suis, une fois n’est pas coutume, d’accord.
Alors, ne te gêne pas, fais-la ta société où tu n’existeras que pour travailler,
payer et consommer, sans réfléchir, sans attendre, sans partager, sans jamais
te donner le temps du bilan.
Mais sache que tu fais bien rire ceux qui continueront à jouer au golf tous les jours de la semaine, parce que, crise ou pas, il y a sept jours des seigneurs.
Mais sache que tu fais bien rire ceux qui continueront à jouer au golf tous les jours de la semaine, parce que, crise ou pas, il y a sept jours des seigneurs.
mardi 26 février 2013
T comme Tony (Sly)
Alors que je baguenaudais d'un pas badin et primesautier dans les méandres d'une boîte à musique en ligne, j'eus l'idée d'écouter ces vieilles fripouilles de No use for a Name qui enchantèrent ma folle jeunesse et adoucissent le début de ma vieillesse. Une envie en appelant une autre, je voulus savoir, tout en écoutant "International you day", ce que faisait en ce moment leur chanteur, ce héros du punk à roulettes au sourire si doux que, pour sa voix qui me soulève au-dessus du sol, j'eusse écouté sans pâlir n'importe quelle sous-soupe FM du moment qu'elle fut estampillée "Tony Sly".
Finalement, je n'aurai pas à endurer un mauvais album du monsieur car j'appris alors, six mois après l'évènement, qu'il n'affronterait jamais les hydres malfaisantes de la panne d'inspiration punk. Il est mort cet été. À 41 ans.
La mort et moi sommes rarement d'accord. Elle s'en moque comme de l'an 40, elle sait qu'elle aura le dernier mot et qu'elle peut nous prendre tous ceux qui nous transcendent et nous ramènent à la volupté d'être, malgré l'inanité de ce monde.
Elle peut nous prendre un Tony Sly entre deux concerts, encore heureux de gratouiller une guitare sur une scène, fidèle à son label et au faîte de ce qui ressemblerait à la gloire punk, si cette notion avait la moindre signification. La dernière image fera très bien dans l'album de l'histoire du rock.
Mais j'aurais préféré l'entendre vieillir. Même trop, même mal.
Finalement, je n'aurai pas à endurer un mauvais album du monsieur car j'appris alors, six mois après l'évènement, qu'il n'affronterait jamais les hydres malfaisantes de la panne d'inspiration punk. Il est mort cet été. À 41 ans.
La mort et moi sommes rarement d'accord. Elle s'en moque comme de l'an 40, elle sait qu'elle aura le dernier mot et qu'elle peut nous prendre tous ceux qui nous transcendent et nous ramènent à la volupté d'être, malgré l'inanité de ce monde.
Elle peut nous prendre un Tony Sly entre deux concerts, encore heureux de gratouiller une guitare sur une scène, fidèle à son label et au faîte de ce qui ressemblerait à la gloire punk, si cette notion avait la moindre signification. La dernière image fera très bien dans l'album de l'histoire du rock.
Mais j'aurais préféré l'entendre vieillir. Même trop, même mal.
mardi 19 février 2013
H comme homme
Je veux être un homme heureux, chantait William Sheller.
Moi, je veux être un homme tout court.
Je ne suis pas sûre qu’il me reste assez
d’années à vivre pour épuiser l’énumération des possibles qui s’offriraient à moi
si je changeais de genre. Malgré l’ampleur de la tâche, auprès de laquelle le tonneau
des Danaïdes passerait pour un chiche dé à coudre de bar parisien, je crois de
mon devoir de tenter l’impossible en dressant une liste aussi partielle que douloureuse :
- Si j’étais un homme, je pourrais mépriser les
bébés, les toiser d’un air vaguement dégoûté en m’interrogeant tout haut sur
les improbables raisons qui ont pu pousser un couple d’amis drôles et cultivés
à renoncer à tout ce qui rend l’existence digne d’être vécue pour engendrer une
larve disgracieuse et malodorante. Au lieu de quoi, mon hostilité pour les
bébés me fait passer pour une créature suspecte et pour tout dire franchement
dénaturée car dans notre société sexiste ( ce qui est déjà une preuve de son
inanité crasse), les femmes doivent aimer les enfants. On se demande bien
pourquoi.
- Si j’étais un homme, je pourrais dire que j’aime
baiser. Pas le niveau 400 du kama-sutra ou les cinq positions hardcore de la décomplexion
ultime que sinon t’es qu’un has-been du pelvis, juste baiser. La même affirmation venant d’une femme relève
du suicide social.
- Si j’étais un homme, je pourrais manger du
boudin et des tripes sans que mes soi-disant semblables froncent leur nez
poudré en poussant des couinements horrifiés. Parce qu’une femme, une vraie, ne
mange pas, elle grignote. Et uniquement des cupcakes ou des macarons. Qui ne
rêverait de passer sa vie dans la peau d’une souris anorexique en partance pour le
diabète ?
- Si j’étais un homme, en été, je ne porterais
rien d’autre qu’un bermuda et des poils au lieu d’une jupe sur des jambes
épilées. Parce qu’une femme se doit d’être douce. Tout le temps. Partout. Et à
tous points de vue. Alors que se coltiner un statut de femme mène assez
logiquement à la fureur homicide.
- Si j’étais un homme et que je sois trompé,
personne ne se demanderait si je faisais bien au lit tout ce que ma conjointe
voulait ou si je ne m’étais pas un peu négligé ces derniers temps.
- Si j’étais un homme, j’aurais le droit d’être
moche et de vieillir sans qu’il devienne inconcevable de m’aimer.
- Si j’étais un homme, j’aurais un salaire
correspondant à mon poste et je ne saurais même pas ce que condescendance veut
dire.
- Si j’étais un homme, j’accèderais pleinement au
statut d’être humain. Ça doit être bien.
jeudi 14 février 2013
O comme ours (polaire)
À mesure que fond la banquise, le garde-manger que des dieux
un peu dérangés avaient réservé aux ours polaires se vide. Car enfin, quelle
intelligence rationnelle et un peu sensible aurait imaginé de sacrifier des
bébés otarie à des monstres puants et même pas capables d’entretenir
correctement leur fourrure ? L’ours blanc n’est pas blanc. Il est jaune
sale, tel un clochard polaire qui s’oublierait régulièrement dans son manteau après
avoir ingurgité ses deux litres de Valstar. Il y a fort à parier pour que l’ours
blanc pue gravement du bec mais peu de gentlemen pourront en témoigner tant le
caractère épouvantable de l’animal le rend peu agréable à fréquenter. L’ours
polaire est donc paré de tous les défauts les plus outrageants à notre
délicatesse d’âme mais il se trouve quelques originaux pour s’émouvoir de sa
probable disparition dans quelques décennies.
Car l’ours blanc bouffe comme quatre. Incapable d’apprécier les mets raffinés ou de
tenir correctement sa fourchette en argent, le rustre bâfre dans les colonies
de phoques où il n’est pourtant pas le bienvenu. On ne saurait être plus
inconvenant que ce gros plantigrade malpropre qui s’invite sans vergogne chez
ses voisins. Certains ours blancs qui ont l’extrême grossièreté de s’accoupler
avec des grizzlis - ces derniers ne valant guère mieux - donnent naissance à des
hybrides appelés grolars. Le terme se passe de commentaires.
Il resterait 20 à 25 000 de ces inconvenantes créatures,
incapables de trouver un travail et d’assurer leur subsistance ailleurs que
dans leur trou paumé et glacé où pas un Rotary club n’a pu subsister. Pour
combler l’appétit de ces feignasses velues, des chercheurs envisagent de les
nourrir, les faisant ainsi passer du statut de malotrus dépenaillés à celui d’assistés
de la société. Il faudrait approvisionner ces grossiers personnages en viande
de phoque pour conserver le bien mince agrément
de leur compagnie sur cette terre.
En vérité mes amis, je m’insurge et je dis non. Qui paiera,
hein, je vous le demande un peu ? Toujours les mêmes. Vous verrez qu’on
nous demandera de travailler un jour de plus par an, au nom de la solidarité plantigrade.
Et pendant ce temps, ces beatniks du froid fumeront du haschisch en faisant des
flippers. Pas question, ne nous laissons pas faire. Car après eux, ce sera les guépards, puis les
pandas et pourquoi pas les hippopotames nains ? Non, nous n’accueillerons
pas toute la misère de la biodiversité du monde. Qu’ils se mettent au boulot au
lieu de dormir jusqu’à pas d’heure.
D’autant qu’une fois que nous aurons mis en place des
filières d’abattage de phoque avec l’argent du contribuable, que se
passera-t-il ? On retrouvera les bas morceaux dans les lasagnes surgelées
que leurs réseaux nous revendront pour blanchir leur trafic de poudreuse. Qu’ils
disparaissent jusqu’au dernier, les ours polaires, et leur blanc approximatif
avec eux.
Inscription à :
Articles (Atom)